Hervé Bienvault, que je connais bien, a émis sur son blog Aldus 2006 il y a déjà un moment des réserves sur la version papier classique de mon ouvrage. Il défendait l'apport de Gutenberg et regrettait l'absence de références bibliographiques. L'Internet laisse des traces, l'exercice de les commenter est intéressant sur un sujet aussi passionnant.
Aldo Manuzio était professeur de grec avant d'être éditeur/imprimeur, le comparer aux professionnels du secteur est déjà difficile. Son ambition a été d'apporter la connaissance au plus grand nombre par le livre (tout d'abord à ses étudiants qui ne disposaient pas de support). Ce qu'il fît en mettant au point une collection de détails qui en ont fait le héros d'Alan Kay et de Steve Jobs, entre autres. Ce n'est pas un hasard. L'alchimie qu'il a réalisée est exemplaire. Il est indiscutable que Gutenberg n'a pas réussi dans cette entreprise, qui n'était peut-être pas la sienne, d'ailleurs. Personne ne le sait. Beaucoup de spécialistes défendent l'histoire vue par Renouard, un Français, dans "Les annales de l'imprimerie des Aldes" datant de 1835. J'ai trouvé qu'un autre connaisseur, Baschet, critiquait cet ouvrage, et que beaucoup de contradictions existaient dans les essais italiens, les meilleurs connaisseurs de leur compatriote. Sans parler de la contribution des Chinois et des Coréens au début du second millénaire, passée sous silence. Je dis donc dans ma préface:
"Au début, j’ai tout cru. Je passais ainsi d’une vérité à son contraire, prenant comme définitive la dernière que je trouvais. Fatigué de ces retournements, j’ai changé mon fusil d’épaule... J’ai adopté les seuls instruments efficaces à la navigation : le regard, la méthode, la logique. Retour donc à descartes et aux philosophes grecs, que je n’avais jamais pris le temps d’étudier."
Mais qu'on ne s'y trompe pas. Trois années de recherche en bibliothèque et sur l'Internet font de moi l'un des connaisseurs avertis du sujet. Plus même que certains qui s'en prétendent spécialistes.
Hervé Bienvault pensait aussi que j'aurais dû intégrer des références bibliographiques dans l'ouvrage papier, comme c'est l'usage. Je m'en explique aussi dans la préface, et c'est l'un des messages fondamentaux du livre. La connaissance qui se trouve aujourd'hui sur l'Internet et de facto dans les bibliothèques varie considérablement au cours du temps. Elle est quelquefois totalement remise en cause. C'est le cas, évident, dans le domaine de la science, mais aussi de l'histoire. A l'heure de l'Internet, figer dans le papier des références bibliographiques n'a plus de sens.
Mais que Pi Cheng, Gutenberg, ou Aldo Manuzio soit l'inventeur du livre moderne n'a pas plus d'importance que cela. Peut-être trouvera-t-on que les Etrusques imprimaient. Le fond du sujet est ailleurs.
Mon ouvrage traite de la vérité de l'écrit, qu'a toujours recherchée Aldo Manuzio par sa traque et sa comparaison des manuscrits les plus rares, par l'édition de textes quelquefois controversés, et par sa sélection sans compromis des textes (du moins en ai-je aujourd'hui la conviction, mais qui sait?). Il nous fait nous poser cette question essentielle, c'est pour cette raison que j'ai choisi comme énigme les lettres 96 et 97 de Pline le Jeune. Preuves avancées par l'Eglise, elles sont données pour apocryphes par les plus savants. Le manuscrit original a disparu lors de l'édition, la seule, qu'en a faite Aldo Manuzio. Mais peut-être découvrira-t-on des informations différentes dans quelques années? N'a-t-on pas retrouvé récemment un évangile de Judas alors que je parle dans mon livre d'absence quasi totale de sources!
Ma conviction est qu'autour d'une fiction solidement ancrée dans des faits avérés, les pistes et les clés sont les éléments essentiels d'un livre comme Aldo Manuzio, et rien d'autre. Le lecteur pourra utiliser les médias numériques pour continuer sa quête de la vérité dans une connaissance sans cesse mise à jour, par exemple wikipedia (mais peut-être demain une autre encyclopédie ou d'autres experts). Il sait y trouver l'auteur, l'éditeur, et d'autres experts, s'il manque d'accompagnement, s'il veut contribuer à l'ouvrage, ou simplement en discuter.